Naissance, vie, mort et résurrection
Les carrelets à poste fixe ont commencé, vers 1900, à investir les emplacements les plus faciles à utiliser : quais, digues des ports, avancées de rochers surplombant la mer, ainsi que les "trous" des falaises de Meschers, qui offraient à la fois des plates‑formes pour les "bâtons de perroquet" et des abris pour les pêcheurs. Très vite cette recherche de l’emplacement idéal va entraîner la construction d’installations plus complexes.
Dans les premières années du XXe siècle, certains propriétaires de carrelet, pour profiter au mieux du meilleur moment pour la pêche, installent leurs pêcheries à quelques dizaines de mètres de la côte, sur des plates‑formes reliées par de frêles passerelles. Les premières pêcheries sur estacades étaient apparues il y a un peu plus de 200 ans.
Duhamel du Monceau écrivait :
On fait au petit port de St‑Palais, qui est dans l’Amirauté de Marennes, un établissement singulier et qui mérite d’être décrit. Les pêcheurs de ce petit lieu ont imaginé de faire un échafaudage sur des rochers d’où ils peuvent mettre à la mer des chaudrettes (sortes de balances) dans lesquelles ils prennent beaucoup de crevettes… Cette pêche ne se fait que de haute mer et seulement depuis les mois de mars et avril jusqu’à fin de juillet.
Henri Louis Duhamel du Monceau (1700‑1782)
est un physicien, botaniste et agronome français, il est l'auteur du Traité général des pesches (1769).
Aux falaises de Bois-Vert, à Fouras, les passerelles relient directement les carrelets aux propriétés des pêcheurs. Sur la conche du Pigeonnier, trois ou quatre carrelets occupent les rochers les plus avancés. Des poteaux, scellés entre les rochers supportent des passerelles rustiques, permettant de venir manœuvrer le filet.
"L’un d’eux, perché sur un bloc isolé, le plus avancé dans la mer, est relié à la côte par un véritable pont‑levis et par une porte garnie de chevaux de frises". Les plages d’or, Henri Clouzot (1907).
Pêche à la crevette, Duhamel du Monceau, 1769
Sur la côte de l’estuaire, vers 1910, on trouve à Meschers quelques grandes passerelles à la pointe de Diou, sous l’ancien corps de garde des douanes. Avec ces carrelets, on pouvait débuter la pêche dès le montant et terminer le plus tard possible au descendant. On trouvait en général un carrelet au bout de la passerelle, constitué d’un mât‑support oblique. Le long de cette passerelle on faisait pendre des balances pour la pêche à la crevette ("trulles" à Royan, "trulottes" à Meschers et "trulots" à Talmont !).
Le filet est toujours une nappe carrée, soutenue par des arceaux en bois d’acacia, réunis par une "tête de mort". Les courants violents ayant tendance à resserrer les arceaux, ils furent remplacés par un cadre métallique.
Toutes ces installations coûtaient cher et il fallait pour se livrer à ce passe‑temps de l’argent et du temps libre.
La prolifération des carrelets
L’entre-deux-guerres voit une extension des carrelets et une démocratisation des utilisateurs. Si on constate une période de stagnation pendant la seconde guerre mondiale, les carrelets encore en état retrouvent en 1945, pour faire face à la pénurie, leur rôle de pêche de subsistance. La pêche au carrelet apportait un complément alimentaire fort apprécié.
Survint alors une période de fort développement de la construction des pêcheries. Désir de reconquête de l’espace littoral, de renouer avec l’avant‑guerre, de profiter de l’augmentation du temps libre, tout cela se conjugue pour favoriser la prolifération des carrelets. L’auto construction se développe ; involontairement, l'E.D.F. apporte une aide précieuse à la construction des pontons de pêche en remplaçant les poteaux électriques en bois par des poteaux en béton, E.D.F. met sur le marché, à bas prix (10‑12 francs le poteau) le matériel pour construire des passerelles de grande dimension.
Les carrelets menacés
En quelques années les falaises se peuplent d’estacades de plus en plus longues, notamment à Meschers et à la pointe du Caillaud à Talmont. Le paysage en est radicalement transformé. Et c’est cette transformation du paysage qui va amener certaines menaces sur ces malheureux carrelets. La pêche au carrelet, loisir individuel, se trouve confrontée à l’expansion touristique de masse et aux loisirs collectifs et organisés. Il fut une période où certains organismes touristiques ont considéré que les carrelets, ouvrages utilitaires, dénaturaient les paysages naturels. Ils suscitaient l’hostilité de certains écologistes (qui y voyaient en plus une cause de la raréfaction du poisson !), des pêcheurs professionnels craignant la concurrence des amateurs, et de certains technocrates de Bruxelles ou d’ailleurs. Les carrelets étaient devenus des mal‑aimés !
Dans un même temps, les carrelets connurent une certaine désaffection, due à l’émergence de nouvelles formes de loisirs et à la raréfaction du poisson. Certaines installations furent abandonnées et se dégradèrent. Face à cette situation, un certain nombre de voix, à l’instar de Michel Crépeau, s’élevèrent pour la défense des carrelets. On commença à s’apercevoir qu’ils étaient devenus, petit à petit, un élément incontournable du paysage côtier. Et quand la tempête les eut fait disparaître, on se rendit alors compte que c’était leur disparition qui avait défiguré nos rivages ! Le monde du tourisme plaide pour la reconstruction des carrelets disparus et réclame, avec les propriétaires, des aides financières pour la reconstitution de ce paysage.
En un siècle, les carrelets ont conquis, contre vents et marées, contre les tempêtes et l’animosité de certains, leur appartenance au patrimoine de notre région.
Michel Crépeau (1930‑1999)
est un avocat et homme politique français. Il est maire de La Rochelle de 1971 jusqu'à sa mort et plusieurs fois ministre de 1981 à 1986.